Avatar: le septième art peut encore nous faire rêver (deuxième partie)

Publié le par Leon9000

LA REPRESENTATION DE L'HUMANITE DANS AVATAR: ENTRE PESSIMISME ET CARICATURE

 

C'est LE grand reproche adressé quotidiennement à Avatar: la caricature de certains personnages et plus particulièrement des humains, clairement désignés comme les méchants du film, des individus avides de richesse et n'ayant que faire des théories écologiques ou du respect des autres races de l'univers menés par le colonel Miles Quaritch, sorte de descendant spirituel de Rambo. Si ces réactions peuvent se justifier, il convient néanmoins de nuancer ses propos.


Le premier élément qui est assez surprenant à ce sujet est que durant les longues années du développement d'Avatar, James Cameron avait plusieurs fois insisté sur l'état chaotique de la Terre dans l'univers du film. En effet, les heures de gloire de notre belle planète bleue sont derrière elle, la pollution et le réchauffement climatique ayant peu à peu détruit notre monde. Pour résoudre la crise énergétique sur Terre, l'humanité est alors contrainte de rechercher des ressources nouvelles dans l'espace d'où la présence des humains sur Pandora! Ainsi l'humanité n'est plus simplement un pilleur de mondes impitoyable mais lutte également pour sa propre survie. Si ces éléments font parti du background officiel du film, ils n'ont que très peu de place dans l'œuvre finale. L'action du film se déroulant quasi intégralement sur Pandora, seules quelques répliques de Jake Sully informent le spectateur sur l'état de la Terre:

 

-lorsqu'il s'adresse à l'arbre sacré des Navi's: « tu verras le lieu d'où nous venons, un monde sans nature, ils ont tués leur mère et feront la même chose içi »

 

-Au dénouement du film: « ils retournèrent dans leur monde à l'agonie ».

 

 

Ce manque d'information sur la condition de la Terre semble être due au fait que James Cameron a volontairement diminué la durée de son film craignant que l'effet 3D devienne rébarbatif au delà de trois heures de film. L'introduction d'Avatar aurait ainsi dû s'attarder plus longuement sur l'agonie de la Terre et le triste état de l'humanité, plusieurs plans montrés dans les bandes annonces et absents de l'œuvre finale semblent aller dans ce sens. Ainsi, l'introduction d'Avatar souffre d'une narration un peu confuse, s'attardant principalement à présenter le héros mais amenant trop rapidement le spectateur sur Pandora en lui lançant à la va vite des informations sur Jake Sully, son frère jumeau et Pandora. Ces scènes supprimées devraient être présentes dans une édition DVD du film (Qui parie sur une version longue?) et pourraient ainsi nuancer la représentation de la race humaine dans Avatar.

 

Twentieth Century Fox France

Dans Avatar, les machines sont également devenues le quotidien de l'homme.

 

 

Néanmoins, cette version longue ne doit pas servir d'excuse au film car au bout du compte, le fait de ne pas voir la Terre dans Avatar est presque plus une qualité qu'un défaut, en effet cela permet au spectateur de se focaliser pleinement sur Pandora et de lui laisser le soin de comprendre l'état de la Terre sans avoir droit à une simple représentation visuelle. De surcroit, si le spectateur se place du point de vue qu'Avatar est une représentation futuriste de la conquête de l'ouest, l'humanité n'a besoin d'aucun motif, d'aucune justification pour aller piller Pandora. L'humanité n'était pas au bord du gouffre lorsque l'Amérique fut découverte et c'est l'appât du gain et les promesses du nouveau monde qui ont motivé l'arrivée des colons et les conflits avec le peuple Indien qui ont suivis. De ce fait, est t-il vraiment si caricatural de représenter une humanité, incapable de comprendre les erreurs du passé, et qui répète ce même schéma de conquête dans le futur mais cette fois à l'échelle de l'univers? L'une des forces du récit d'Avatar tient justement dans le fait que cette histoire vit avec son temps et présente une vision sans concession de l'humanité, finalement amenée à être représentée comme une espèce idiote et futile en comparaison avec la race des Navi's.

 

C'est un fait qui est trop peu souligné mais qui a son importance: Avatar présente une race humaine condamnée à l'abandon et auquel il vaut mieux renoncer. Alors certes, c'est loin d'être la première fois qu'une représentation pessimiste de l'humanité a lieu, encore moins dans un film de science fiction mais ce dont nous parlons ici est le plus grand budget de l'histoire du cinéma et à une époque où Roland Emmerich peut encore dépenser 200 millions pour un 2012 stéréotypé jusqu'à la moelle, voir un titan comme Avatar montrer une humanité sans espoir de salut est une qualité non négligeable. Au bout du compte, ce qui apparaît comme une caricature dans Avatar est davantage une volonté de Cameron de mettre l'accent sur la faiblesse de l'humanité, contre le mode de vie occidental. Les personnages peuvent paraître caricaturaux car ils ont chacun des rôles définis qui traduisent des courants de pensée, les protagonistes étant incapables de se comprendre et de s'écouter au contraire des Navi's. Ils resteront campés sur les positions car c'est au héros que la possibilité du choix appartiendra et sur lequel repose finalement tout le film.

 

 

JAKE SULLY: UN HEROS ENTRE REVE ET REALITE

Un avatar est la représentation informatique d'un internaute, que ce soit sous forme 2D, (sur les forums et dans les logiciels de messagerie) ou sous forme 3D (dans les jeux vidéo, par exemple). Le mot avatar est issu de la tradition hindoue où il désigne l'incarnation d'une divinité sur terre.

 

Ancien militaire devenu handicapé durant la guerre, plutôt rustre, cynique et primaire, Jake Sully ne présente pas vraiment le profil idéal du jeune héros de blockbuster. C'est d'ailleurs l'une des particularités appréciables d'Avatar, celle de ne pas s'adresser en priorité à un jeune public malgré son univers fantaisiste (comme aucun film de Cameron d'ailleurs) , car le processus d'identification au héros est clairement destiné à un public plus mature. C'est la mort de son frère jumeau (dont on saura très peu de choses dans le film) qui amène donc Jake sur Pandora et lui permet de prendre possession de l'Avatar originalement destiné à son frère. Il en résulte alors une séquence absolument extraordinaire où Jake vit une renaissance en retrouvant l'usage de ses jambes. Dés lors, la scène a donnée le ton du film: au delà de Pandora et de ses créatures, au delà des Navi's et des humains, Avatar est avant tout l'histoire de Jake Sully et le concept de l'Avatar en est la clé.

L'Avatar permet à un individu de transférer son esprit dans le corps d'un autre être, ce concept et les problématiques qui en découlent semblent davantage puiser leurs inspirations dans la science fiction Japonaise que dans la culture américaine, n'oublions pas que nous avons affaire ici au réalisateur de Terminator, qui a défendu Ghost in the Shell comme chef d'oeuvre de la science fiction et qui livre ici une problématique très cyber punk assez éloignée des thèmes écologiques abordés en parallèle. Mais ce concept de l'Avatar est justement une exploitation ingénieuse de la science fiction pour enrichir le message écologique du film, au fur et à mesure du récit, Jake Sully se liera ainsi de plus en plus d'affection avec la communauté Navi et son corps d'Avatar pour rejeter son peuple et son propre corps.

L'attachement à l'Avatar est ainsi une parfaite manière métaphorique de symboliser le ralliement avec les croyances des Navi's. Si au départ Jake condamné à rester dans un fauteuil roulant est attiré par l'Avatar grâce aux prouesses physiques des Navi's qui mesurent plus de trois mètres de haut, son voyage initiatique au sein de Pandora l'amènera à découvrir de plus en plus la culture Navi's jusqu'à négliger son propre corps.

 

"Tout s'est inversé. Comme si le réel était dehors, et le rêve içi."

Jake Sully jongle entre deux vies, entre le rêve et la réalité. La dimension métaphorique du rêve déjà largement exploitée dans Matrix est ici pleinement assumée puisque c'est dans le sommeil que Jake se réveille à nouveau en tant qu'humain comme si son périple de Navi n'avait été qu'un étrange rêve. Le personnage finit par être déchiré entre ses deux vies, son affection grandissante pour les Navi's n'a d'égal que sa déception croissante chaque fois qu'il se réveille en tant qu'humain, négligeant son apparence physique et ne souhaitant que retourner dans l'Avatar. Ce concept trouve d'autant plus d'écho auprès du public vu qu'il se rapporte à un grand phénomène de société à savoir la prolifération d'Internet et la création d'identités virtuelles. L'idée d'Avatar est ici d'autant plus intéressante qu'elle ne propose pas de partir dans un monde virtuel mais de rester dans la réalité dans un autre corps à la manière du récent Clones avec Bruce Willis tout en explorant un nouveau monde, combinant ainsi tous les rêves liés au changement d'identité.

 

Les évènements de l'intrigue obligeront finalement Jake à trancher entre ses deux vies, il est le personnage sur lequel repose le choix du film entre rester dans son univers ou tout abandonner pour défendre pleinement ce monde imaginaire. Le plus grand moment dramatique du film survient ainsi lorsque parallèlement à la destruction de l'Arbre Maison, Jake Sully finit par être rejeté à la fois par les Navi's et les humains, pour sa trahison dans les deux camps, payant ainsi les fruits de son indécision.

 

Sa rédemption ne pouvait donc avoir lieu qu'en choisissant pleinement un camp, décidant de soutenir complètement la cause des Navi's, il les mènera même à la guerre contre son propre peuple, marquant ainsi sa rupture par la force avec ses origines. L'élément le plus important à noter est qu'à chaque instant, le spectateur comprend la position de Jake ainsi que sa décision finale de trahir son peuple, ainsi non seulement l'humanité est présentée de manière pessimiste dans Avatar mais le spectateur prend complètement parti pour la défaite des humains, presque sans s'en rendre compte. Durant la bataille finale, ce sera donc logiquement Jake qui portera le premier coup contre l'armée humaine. Cameron poussera même la métaphore à son paroxysme en transformant la navette spatiale dans laquelle Jake est arrivé sur Pandora en arme de destruction contre l'arbre sacré des Navi's, un obstacle que Jake lui même détruira (avec des armes humaines) tranchant ainsi pour de bon ses liens avec son ancien monde. Le combat final qui l'oppose contre Miles Quaritch aux commandes d'un mécha, façon David Contre Goliath, est surtout l'occasion de marquer la rupture des deux mondes en confrontant enfin Neytiri et Jake dans son corps d'humain, reliant ainsi le rêve et le réel et d'un point de vue technique l'humain et les images de synthèse. La fameuse réplique des Navi's « Je te vois » y trouve ici tout son sens car comme cela était expliqué auparavant, cela signifie « Je vois en toi, je vois ton véritable être ».

Le début de la renaissance.

 

Après le départ de la race humaine de Pandora, la renaissance de Jake Sully doit ainsi s'achever par son abandon total de son corps humain. Son dernier message dans le journal de bord est d'ailleurs inutile étant donné que plus personne n'est là pour l'étudier, le héros s'adresse avant tout au spectateur et lui fait ses adieux, la dernière réplique du film étant « c'étaient les derniers mots de Jake Sully ». Le rituel des Navi's a lieu, Neytiri embrasse les yeux fermés du corps humain de Jake et le plan final d'Avatar se focalise sur les yeux de Jake s'ouvrant vers sa nouvelle existence de Navi's. Durant tout le film, rien n'aura été laissé au hasard dans l'évolution de Jake Sully, pas même le titre final écrit en vert pour contraster avec celui de l'introduction. Il peut paraître surprenant que Cameron encourage ainsi une totale adhésion au monde imaginaire par le biais de l'Avatar mais à la manière des frères Wachowski dans Matrix, le réalisateur a conscience de l'attrait indéniable du monde des rêves et considère que l'individu ne peut plus vivre sans une fois qu'il s'y est plongé.

 

Au final, Jake Sully est bien le guide idéal pour explorer Pandora, il transporte facilement le spectateur dans la vision de James Cameron et enrichit considérablement le récit par ses thématiques identitaires. Il ne s'agit certainement pas d'un super héros ou d'un grand héros américain mais bien d'un grand personnage de science fiction. De plus, il convient de ne pas oublier qu'Avatar fait parti du cinéma post moderne, un cinéma qui aime parler de lui même dans ses oeuvres. Jack Sully, cloué dans un fauteuil roulant, peut être symboliser le spectateur de cinéma ordinaire assis dans le fauteuil des salles obscures. Le passage à l'Avatar de Jake Sully symbolise ainsi le passage du cinéma à la 3D en emportant le spectateur dans l'action du film. Le passage total de Jake Sully à son corps d'Avatar démontre t-il que James Cameron considère que le cinéma doit intégralement basculer dans la 3D?

 

 

CONCLUSION

 

 

Des rebondissements simples pour une narration ultra efficace, des thématiques aussi profondes qu'universelles, dés la première vision du film, Avatar impose son univers et son histoire dans l'esprit du spectateur. Inutile de nier que l'impact visuel du film joue en sa faveur car il provoque un accueil plus que positif mais derrière ces images de synthèse et ses effets 3D, il y a bel et bien un véritable univers d'une incroyable richesse et d'une grande pureté. James Cameron a construit une grande fable écologique, une belle réflexion sur le pouvoir attrayant de l'imaginaire en même temps qu'un triste constat sur la condition humaine. A ceux qui jugent simplement Avatar sur sa beauté visuelle, que la simplicité apparente de l'histoire ne vous dissimule pas les thèmes profonds qui y sont abordés ainsi que l'exceptionnelle cohérence et efficacité du récit. Bien d'autres éléments auraient pu être traités dans cet article, notamment la grande importance donnée aux personnages féminins, comme souvent dans les oeuvres de Cameron, mais l'essentiel a été dit: James Cameron a signé le meilleur blockbuster de ces dix dernières années et a offert au cinéma populaire américain la preuve que l'audace et la créativité peuvent porter les fruits. Que l'avenir dise ou non si Avatar aura vraiment été une révolution a finalement peu d'importance, l'histoire était grande, le voyage fut beau et le septième art nous a prouvé qu'il pouvait encore nous faire rêver.



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